Antisémitisme: de quoi l'affaire Dieudonné est-elle le symptôme?

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Le préfet de la Loire-Atlantique signait, mardi 7 janvier, l'arrêté d'interdiction du spectacle de l'humoriste Dieudonné M'bala M'bala prévu au Zénith de Nantes ce jeudi 9 janvier, a annoncé la préfecture dans un communiqué. Une décision qui intervient après la diffusion lundi d'une circulaire du ministère de l'intérieur préconisant au cas par cas l'interdiction pour troubles à l'ordre public. Mais de quoi le succès de Dieudonné est-il symptomatique? Eléments de réponse avec Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS.


TaguieffDieudonné, déjà condamné à de multiples reprises pour antisémitisme ou injures racistes, doit commencer, jeudi 9 janvier, à Nantes une tournée qui doit le mener à Tours puis à Orléans samedi. «On avait annoncé une manifestation pour demander au préfet d'interdire le spectacle de Dieudonné à Nantes. C'est fait. On est soulagés. Il n'y a donc pas lieu de manifester», a déclaré Serge Klarsfeld. Assiste-t-on à une recrudescence d’un nouvel antisémitisme?

JOL Press — Comment analyser le succès de Dieudonné? Ce succès est-il lié à une montée d'un nouvel antisémitisme en France?

Pierre-André Taguieff — Dieudonné et son succès en particulier sont l’un des symptômes autant d’une montée que d’une transformation de l’antisémitisme en France, que j’appelle depuis 1989 la nouvelle judéophobie. Il ne faut pas confondre la nouvelle judéophobie, fondée sur l’antisionisme radical ou absolu, avec le vieil antisémitisme politique à la française représenté naguère par Drumont ou Maurras. Cette nouvelle judéophobie s’est constituée après la guerre des Six Jours (juin 1967): au cours des quarante dernières années s’est formé une nouvelle configuration anti-juive aussi bien sur le plan idéologique que sur le plan de la lutte armée. Je pense, en particulier, au front djihadiste dont l’une des principales cibles se trouve être les Juifs.

En France, la véritable montée de la nouvelle judéophobie, autour de l’antisionisme et de la stigmatisation d’Israël, remonte à l’automne 2000: on passe alors de façon brutale de quelques dizaines de faits antijuifs en 1999 (82 actes et menaces), à plusieurs centaines d’actes et de menaces judéophobes en 2000 (744 faits relevés). Une augmentation frappante liée à la seconde Intifada et à une campagne massive de propagande pro-palestinienne en France, utilisant tous les relais possibles, aussi bien islamistes que néo-gauchistes. La cause palestinienne a ainsi été érigée en cause sacrée. Dès lors, c’est au nom de la cause palestinienne que la haine contre les Juifs s’est fortement exprimée dans l’espace public, sous couvert d’antisionisme, et que des meurtres anti-juifs ont été commis. Rappelons seulement que le tueur islamiste Mohamed Merah, l’assassin de 3 enfants juifs à Toulouse (19 mars 2012), affirmait vouloir ainsi «venger les enfants palestiniens».

Le conflit israélo-palestinien est-il le seul objet de crispation?

Le conflit israélo-palestinien, et plus globalement le conflit israélo-arabe, et plus globalement encore le conflit judéo-musulman forment la toile de fond permettant de comprendre cette flambée de haine visant les Juifs. Mais j’y ajouterais, et pas seulement pour la France, quelques autres facteurs. Je pense en particulier à la diffusion, notamment sur le web, des théories du complot, où les Juifs apparaissent souvent en conspirateurs diaboliques. Dieudonné a su habilement jouer de la séduction des thèmes conspirationnistes, en les intégrant dans ses spectacles provocateurs. Dès 1992, j’ai publié un gros livre sur les Protocoles des Sages de Sion: Faux et usages d'un faux pour montrer que leur histoire n’était pas terminée mais qu’elle s’était adaptée à l’esprit du temps.

Le mythe de la «conspiration juive universelle» s’est ainsi transformé en celui du «complot sioniste mondial». C’est là un thème majeur qui circule sur le web, diffusé par des milliers de sites conspirationnistes. Aujourd’hui Dieudonné et Alain Soral en sont à la fois les consommateurs et les diffuseurs, comme beaucoup d’autres. Au cœur de cette culture du complot l’on rencontre l’idée que les Juifs ou les «sionistes» – «sioniste» étant une euphémisation de «Juif» – sont les maîtres du monde, cruels, dominateurs et exploiteurs. Dans la nouvelle définition de la «domination juive», Israël est explicitement associé à «l’oligarchie financière». D’où l’apparition d’une nouvelle figure de l’ennemi, qui a tout pour plaire à la fois aux antisionistes radicaux et aux anticapitalistes.

Cette idée permet de comprendre pourquoi c’est une certaine jeunesse, en révolte contre «le Système», qui suit de près les actualités de Dieudonné, avec une sympathie qui peut aller jusqu’à l’empathie. Dans mon livre Prêcheurs de haine: Traversée de la judéophobie planétaire, je consacrais, déjà en 2004, plus de dix pages à Dieudonné, en soulignant et en analysant son basculement dans la propagande judéophobe. En janvier 2002, il avait commencé sa nouvelle carrière de démagogue en lançant dans une interview: «Le racisme a été inventé par Abraham. ‘Le peuple élu’, c’est le début du racisme. (…) Pour moi, les Juifs, c’est une secte, c’est une escroquerie. C’est une des plus graves [re-sic] parce que c’est la première.»

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