Mission

Le crépuscule du XXe siècle aura été marqué par un réveil de l'antisémitisme en Belgique mais aussi dans la plupart des pays d'Europe. Si jusque-là, les actes antisémites déclarés étaient, d'année en année, peu nombreux, l’onde de choc générée par la seconde intifada en septembre 2000 allait rapidement modifier la donne pour la communauté juive du Royaume forte de 40.000 âmes. Depuis, des centaines d'incidents antisémites ont été relevés en Belgique, ceux-ci n'étant que la partie visible d'une véritable lame de fond.

Plusieurs institutions et personnalités se sont émues de la situation, à l'instar du Conseil de l’Europe qui, en 2004, s'est inquiété de la récurrence de ces incidents et fait écho au malaise de citoyens belges de confession juive qui «ont connu un renforcement très important du sentiment d’insécurité au cours des dernières années en Belgique». Cette même année, dans son très solennel discours de Noël, le Roi Albert II appellera la population à être «intransigeants contre tous actes de racisme, d'antisémitisme et de xénophobie».

Plus récemment, l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) a publié en novembre 2013 une enquête sur «la discrimination et les crimes de haine contre les Juifs dans les États membres de l’Union européenne», laquelle met en exergue le profond malaise qui existe au sein des différentes communautés juives d'Europe en général, et en Belgique en particulier. En effet, si 76% des personnes qui se sont prononcées déclarent que «le problème se pose avec plus d'acuité et que l'antisémitisme a augmenté dans le pays où ils vivent depuis les cinq dernières années», ce chiffre est de 88% pour la Belgique. Cette étude révèle également que, dans notre pays, 28% des personnes interrogées ont été la cible «d'insultes verbales, de harcèlement et/ou d'attaques physiques pour le simple fait d'être juif, au cours de ces douze derniers mois», et que 41% des personnes interrogées envisagent «d'émigrer du pays parce qu'ils ne se sentent plus en sécurité ici en tant que juif».

Dernier en date à avoir tiré la sonnette d'alarme, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe Nils Muiznieks qui s'alarme en janvier 2014 de l'«hostilité profondément enracinée [qui] continue de menacer la sécurité et la dignité humaine des juifs dans toute l’Europe», et appelle les autorités à «prendre pleinement conscience du danger que représente pour la démocratie» ce fléau qui s'étend à l'ensemble du continent.

La multiplication des déclarations émanant de hautes autorités morales et d'institutions officielles à propos de la résurgence de l'antisémitisme témoigne du besoin pressant de mener un combat résolu contre ce fléau qui, outre le fait de menacer directement l'intégrité de la population juive de notre pays, sape les valeurs démocratiques du Royaume et favorise le développement des autres formes de racisme. Comme le disait l'essayiste martiniquais Frantz Fanon, «Quand on dit du mal des Juifs, tu dois tendre l'oreille car on parle de toi».

La Ligue Belge contre l'Antisémitisme (LBCA) a pour mission de mener en Belgique la lutte contre l'antisémitisme sous toutes ses formes. Pour ce faire, elle travaillera de concert avec l'ensemble des forces démocratiques du pays qui partagent ce même souci. La plupart des acteurs politiques et médiatiques a sans doute pris la mesure des dangers. Mais il faut aussi, il faut surtout, que cette prise de conscience irrigue toute la société civile, la société «d’en bas», celle des ateliers, des usines, des bureaux, des écoles et des universités, des bars et des enceintes sportives, des réunions privées et des réunions publiques. La LBCA entend y contribuer activement.

Dans l'exercice de sa mission, la LBCA agira sur le plan préventif en favorisant le dialogue et la pédagogie. Le dialogue est sans doute le meilleur des antidotes contre l’ignorance qui féconde la haine et l’exclusion. Mais quand la liberté d'expression sert impunément à discriminer, injurier et inciter à la haine, il faut alors recourir aux outils légaux mis à disposition à cet effet par l'État de droit. Ainsi, lorsque cela sera nécessaire, la LBCA agira également sur le plan répressif en sollicitant auprès de la justice l'application de la loi de 1981 contre la racisme et la xénophobie et la loi de 1995 contre le négationnisme.

La commémoration annuelle de la Kristallnacht rappelle que trois ans après les lois raciales, les flammes de ce pogrom étaient une de ces épreuves auxquelles les nazis soumettaient la société civile allemande et les gouvernements et populations européennes pour mesurer leur degré de résistance aux persécutions infligées aux Juifs du Reich. Ces tests allaient hélas tous renforcer les nazis dans l’idée que leurs projets de marginalisation d’abord, de discrimination et de persécution ensuite, de déportation et d’annihilation enfin des Juifs ne rencontreraient, ni en Allemagne ni ailleurs, d’obstacles majeurs.

Trois-quarts de siècle plus tard, une ébauche pointilliste, comme désordonnée et encore peu lisible, d’un processus de marginalisation semble émerger en Belgique et ailleurs en Europe, d’un nombre croissant de signes, volontaires ou maladroits. Certes pas les fantômes de la discrimination, moins encore ceux de la persécution, de la déportation et de l’éradication, mais quelque chose qui, dans le ressenti, ressemblerait à une clôture invisible dressée autour des Juifs et de leurs préoccupations, faite d’indifférence mêlée d’irritation et de rejet, comme une séparation impalpable, un mur de béton transparent. C'est ce mur que la LBCA invite tous les acteurs de notre société à faire tomber.