«Balance ton antisioniste»

Le Soir |


Carte blanche de Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme, publiée dans Le Soir du 15 avril 2021.


Suite à la parution de la dernière chronique de Carta Academica consacrée par Vincent Engel à l’antisionisme, le Président de la Ligue belge contre l’antisémitisme souhaite apporter quelques éléments de réplique.

Dans sa chronique du 3 avril dernier, «Balance tes nuances», Vincent Engel s’intéresse à la «Définition opérationnelle de l’antisémitisme» développée par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), une organisation intergouvernementale créée en 1998 qui regroupe 34 pays, dont la Belgique, et qui a pour objet de lutter contre l’antisémitisme et le négationnisme.

Si Vincent Engel concède le caractère «utile» de cette définition, il n’en stigmatise pas moins ce qu’il interprète comme étant un «défaut majeur que l’on peut comparer à un cheval de Troie», à savoir «les exemples donnés pour définir l’antisémitisme».

De quoi s’agit-il concrètement ?

Le 26 mai 2016, l’IHRA adopte à l’unanimité de ses États membres la définition en question. Prenant en compte le caractère évolutif et protéiforme de l’antisémitisme, l’IHRA le définit succinctement (44 mots) et l’accompagne d’«exemples contemporains d’antisémitisme», 11 au total.

Le choix de ces exemples n’est bien évidemment pas le fruit du hasard. Il est le résultat d’un long travail d’analyse et de réflexion amorcé en 2003 s’appuyant sur de nombreux rapports, enquêtes et sondages européens et nationaux, et nourri du savoir d’entre les plus grands experts en la matière. On retrouve donc logiquement dans ces exemples des cas relevant de l’antijudaïsme, de l’antisémitisme et de l’antisionisme, c’est-à-dire des trois grandes manifestations historiques de cette haine bimillénaire.

Pour le dire simplement, cette définition augmentée se borne à mettre à jour le logiciel de la lutte contre l’antisémitisme, prenant en compte le fait que ceux qui, ces vingt dernières années, insultent, menacent, discriminent, agressent, voire tuent des Juifs parce que juifs en Europe occidentale, empruntent pour la plupart à d’autres narratifs et référents idéologiques qu’Isabelle la Catholique ou Adolf Hitler.

Confusion sémantique

Plus loin dans sa tribune, Vincent Engel distingue deux interprétations de l’antisionisme. L’une appelant à «la destruction de l’État d’Israël», qu’il assimile bien à de l’antisémitisme et qu’il condamne. Et l’autre critiquant «la politique d’expansion et d’annexion menée par le gouvernement d’Israël» qui serait selon lui l’expression d’un antisionisme non assimilable à de l’antisémitisme. Volens nolens, Vincent Engel entretient ici une confusion sémantique qu’il importe de dissiper.

«Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement», disait Boileau. Précisons donc ce qu’est l’antisionisme. Et ce qu’il n’est pas.

Primo, pour comprendre ce qu’est l’antisionisme, il suffit d’expliquer ce qu’est le sionisme, lequel se résume à une seule et simple chose: le droit à l’autodétermination du peuple juif sur sa terre ancestrale. L’antisionisme étant sa négation, il consiste à dénier au seul peuple juif un droit naturel accordé à tous les autres peuples de la Terre et, dès lors, à nier la légitimité même de l’État d’Israël, son droit à l’existence. Cela porte un nom: antisémitisme.

Secundo, critiquer, même de manière acerbe ou injustifiée, la politique menée par le gouvernement israélien n’est à l’évidence pas antisémite. Suggérer, comme le fait Vincent Engel, que la définition de l’IHRA appellerait à censurer cette critique est d’autant moins pertinent qu’elle reléguerait au passage une partie significative de la population israélienne et nombre d’intellectuels ou de médias de l’État hébreu sur les bancs infamants de l’antisémitisme.

Le dernier variant du virus antisémite

L’antisionisme n’est donc pas, comme l’écrit le chroniqueur, une simple «opinion» mais bien le dernier variant en date du virus antisémite: celui qui substitue l’État (juif) à l’individu (juif); celui qui crie «sale sioniste» mais qui pense «sale juif»; celui qui remplace le salut nazi par la «quenelle» d’un Dieudonné tête d’affiche du Parti antisioniste. Celui, enfin, dont les appels au boycott de l’État juif «rappellent inévitablement le slogan nazi “N’achetez pas aux Juifs” et les graffitis sur les façades et les vitrines des magasins», comme l’a pertinemment déclaré le Parlement allemand le 17 mai 2019 en adoptant à une large majorité une résolution qualifiant l’organisation antisioniste BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) de mouvement antisémite.

En 1969 déjà, l’intellectuel autrichien Jean Améry lançait cet avertissement prémonitoire dans les colonnes de l’hebdomadaire allemand Die Zeit: «L’anti-Israël comme l’antisionisme portent l’antisémitisme comme la nuée porte l’orage»

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