«L’antisionisme, version 3.0 de l’antisémitisme»
Opinion de Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l'antisémitisme, publiée dans Le Vif/L'Express.
L'agression contre le philosophe Alain Finkielkraut repose la question de l'antisionisme comme déclinaison de l'antisémitisme. Pour le président de la Ligue belge contre l'antisémitisme (LBCA), Joël Rubinfeld, "être antisioniste revient à nier le droit à l'existence d'un Etat juif", ce qui relève de l'antisémitisme.
«Je ne suis pas antisémite mais je suis catégoriquement antisioniste». C’est en substance le contenu du mail qui m’a été adressé vendredi dernier par Mustafa S., dans la foulée de l’émoi médiatique suscité par l’agression à Paris d’Alain Finkielkraut par une poignée de gilets jaunes. Si cette personne est réellement sincère lorsqu’elle déclare ne pas être antisémite, alors elle se trompe en se proclamant antisioniste. Catégoriquement.
Car, contrairement à ce que certains voudraient laisser accroire, le sionisme ne se définit pas par la politique menée par un gouvernement israélien, quel qu’il soit. Le sionisme est une seule chose: le droit à l’autodétermination du peuple juif sur sa terre ancestrale, soit un droit égal à celui revendiqué par et accordé à tous les peuples de la terre. Dès lors, et parce que les mots ont un sens, être antisioniste revient à nier aux Juifs ce droit et donc à contester la légitimité même d’un État juif, en l’occurrence Israël. Et ça, c’est de l’antisémitisme. Catégoriquement.
Bref rappel de l’histoire de l’antisémitisme
On distingue trois grandes phases historiques de l’antisémitisme.
D’abord religieux avec l’essor de la chrétienté, l’antisémitisme – alors appelé antijudaïsme – persécutera les Juifs en raison de leur appartenance à une religion. Porté par la théologie de la substitution et irrigué par l’enseignement du mépris, l’antijudaïsme contaminera l’Europe avec ses funestes accusations lancées contre les Juifs: profanation des hosties, empoisonnement des puits, meurtres rituels, etc.
Dans un deuxième temps, la sécularisation de la société européenne entraînera une laïcisation de l’antijudaïsme. Religieuse jusqu’ici, la haine des Juifs sera désormais raciale et s’appellera antisémitisme – néologisme qui apparaît en 1879 sous la plume du journaliste allemand Wilhelm Marr.
Enfin, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et avec la révélation des atrocités de la Shoah, il était devenu risqué – parce qu’illégal dans plusieurs pays européens – de se déclarer publiquement antisémite. L’antisémitisme est-il pour autant mort à Auschwitz, comme l’avait un temps espéré Elie Wiesel? Hélas non. Tel un virus, l’antisémitisme s’adapte à son environnement et, à chaque étape de sa mutation, s’invente une nouvelle langue et de nouveaux codes.
Antisémitisme 3.0
C’est dans les habits neufs de l’antisionisme que l’antisémitisme retrouve une troisième jeunesse. Exploitant la renaissance d’Israël en 1948, l’Antisémite nouveau met à jour son logiciel afin d’échapper à la loi: il ne dira plus «sale Juif» mais «sale sioniste», il ne fera plus le salut nazi mais la «quenelle», il ne boycottera plus un magasin juif mais l’État juif. Il s’emploiera également à nazifier Israël, n’hésitant pas à construire des symétries abjectes – Gaza = Auschwitz, étoile de David = croix gammée, Juif = nazi – comme on a pu le voir sur les banderoles de la manifestation pro-palestinienne qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les rues de Bruxelles le 11 janvier 2009.
Autre illustration de ces habits neufs: dans les antichambres des organisations internationales, le statut d’exception appliqué hier à l’individu juif cible dorénavant l’État juif. C’est ainsi que, entre 2006 et 2016, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU adoptera 135 résolutions condamnant l’un ou l’autre de ses 193 États-membres, dont 68 contre Israël. Soit une sur deux! De son côté, l’Assemblée générale de l’ONU adoptera 97 résolutions entre 2012 et 2015 critiquant l’un ou l’autre de ces mêmes États-membres, dont 83 contre le seul Israël. Soit 85%! Et il en va de même pour les autres agences onusiennes que sont l’UNESCO, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation internationale du travail (OIT).1
Le président de l’Autorité palestinienne, quant à lui, n’hésitera pas à exhumer l’un des mythes les plus perfides de l’antijudaïsme lorsque, invité à prendre la parole devant le Parlement européen le 23 juin 2016, il accusera des rabbins israéliens de vouloir empoisonner l’eau des puits palestiniens. Cela n’empêchera pas la noble assemblée – symbole du projet européen bâti sur la promesse du «Plus jamais ça!» – de réserver une standing ovation à l’allocution de Mahmoud Abbas alors que c’est cette même infamie qui avait mené à la disparition de nombreuses communautés juives d'Europe au XIVe siècle, après que les Juifs eurent été accusés d’avoir empoisonné les puits d’eau potable et d’être les responsables de la violente épidémie de peste noire qui, entre 1347 et 1351, provoqua la mort de 30 à 50% de la population européenne.
Un antidote?
En 2016, l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) – organisation intergouvernementale regroupant 32 États-membres dont la Belgique – a adopté à l’unanimité une définition actualisée de l’antisémitisme 2 qui élargit précisément son champ à l’antisémitisme 3.0. Si l’on veut vraiment lutter contre cette dernière mutation du virus antisémite qui insulte, blesse et tue à nouveau des Juifs dans nos rues, on se doit d’intégrer sans tarder ce texte dans notre corpus législatif. À défaut, on continuera à déplorer les victimes d’un antisémitisme protéiforme tandis que l’exode des Juifs d’Europe vers des cieux plus protecteurs se poursuivra. Inexorablement.
^ [1] «The UN and Israel: Key Statistics», UN Watch
^ [2] «Working Definition of Antisemitism», IHRA
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