«Ces gens-là, c’est la cour des miracles de la haine!»
Créée début 2014, la Ligue belge contre l’antisémitisme a réagi vivement face à l’événement. D’emblée, elle a privilégié deux approches. Sur le plan administratif d’abord en cherchant à faire interdire la manifestation via des contacts avec les autorités. Sur le plan judiciaire ensuite, en déposant dans les mains du procureur du Roi une plainte argumentée. Pour son président Joël Rubinfeld, pas de doute, il fallait interdire la manifestation.
Le Soir — En cherchant à interdire, joue-t-on avec les limites de la limite d’expression?
Joël Rubinfeld — La liberté d’expression la plus large possible est évidemment un des socles de la démocratie, mais la ligne rouge est franchie lorsque cette liberté d’expression est utilisée pour inciter à la haine. Et c’est bien l’habitude d’orateurs invités sur place. Lorsque l’un dit: «Je ne suis pas antisémite, je suis radicalement antisémite, furieusement antisémite…» Lorsqu’un autre assure: «Il n’y a que 2 façons de régler la question juive: soit à la manière de Jésus-Christ avec la conversion au christianisme, soit à la manière d’Hitler avec l’extermination.» On comprend aisément que dans ces cas, les limites de la liberté d’expression sont allègrement franchies. Si sur base de propos aussi flagrants on ne peut pas activer la loi de 1981 contre le racisme et la xénophobie, je me demande dans quel cas elle serait d’application.
Ces gens-là, qui incitent à la haine contre les Juifs, les francs-maçons, les homosexuels, les femmes… ces gens-là, c’est la cour des miracles de la haine! On ne peut pas accepter que des citoyens par leur acte de naissance ou leur choix d’orientation sexuelle ou spirituelle soient condamnés de facto. On sait à quoi cela a mené. On n’a pas eu de mouvement de cette ampleur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On doit se prémunir contre les nouvelles formes de racisme, d’anti-judaïsme, d’anti-maçonnisme, d’homophobie ou d’antiféminisme… C’est le rôle de l’État.Quitte à intervenir a priori?
Oui, parce que le délit a été commis voici deux semaines lorsqu’a été diffusée une affiche promotionnant des ouvrages antisémites condamnés par les tribunaux français pour incitation à la haine. Il y a eu infraction à la loi bien avant que ne commence la manifestation.Au risque de mettre un coup de projecteur sur cette manifestation?
Il y a un arbitrage à faire entre l’aspect productif et l’aspect contre-productif. Si Laurent Louis réunissait cinq personnes, je le laisserais à ses délires… mais là ils étaient des centaines. Quand une vidéo de lui est vue 50.000 fois, ça commence à devenir sérieux, il y a risque d’effet d’entraînement. Si le Conseil d’État devait leur donner raison, ce jour serait à marquer d’une pierre noire. À partir d’un certain seuil, il faut se réveiller. Faut-il rester dans la logique de ne pas parler d’eux parce qu’on leur ferait de la pub ou dans la logique de parler d’eux parce qu’ils mettent notre société en péril? Nous, on a fait notre arbitrage!