Charlie Dupont: “Si dans cette marche, la majorité des gens sont juifs, c’est un échec”
Le comédien belge marchera dimanche contre l’antisémitisme. Il juge la situation grave et s’inquiète de la lâcheté de la grande majorité du monde politique belge sur le sujet.
Comédien au théâtre comme devant les caméras, qu’il s’agisse de cinéma ou de télévision, récemment professeur de Philo dans la série La Faute à Rousseau sur France 2, Charlie Dupont est aussi connu pour avoir participé à l’aventure Faux Contacts comme auteur, cette série de formats courts très drôles mettant en scène le regretté Manu Thoreau dans l’uniforme de policier façon l’émission Contacts sur la RTBF. Mais c’est pour tout autre chose qu’il est aujourd’hui dans les pages de la DH. Il participera dimanche, comme beaucoup d’autres artistes signataires de l’appel, à la marche contre l’antisémitisme organisée à Bruxelles.
Pourquoi marcherez-vous dimanche à Bruxelles contre l’antisémitisme?
“Parce que, malencontreusement, les juifs autour de moi avec qui je parle, je les sens fébriles à un point que je n’avais jamais senti avant. Je suis souvent ‘minimisateur’ de l’antisémitisme. Je pense souvent avoir affaire à une forme de paranoïa. Ici, j’ai l’impression que ça n’en est plus, qu’il y a un vrai danger dans le fait d’être juif en Belgique. L’Ocam dit la même chose que moi: il y a une véritable menace qui pèse sur la toute petite communauté juive en Belgique. J’ai l’habitude de prendre le parti de ceux qui souffrent. Petit, quand on jouait aux cow-boys et aux Indiens, je jouais toujours l’Indien. Je sais qu’il y a, autour de la prise de position contre l’antisémitisme, en Belgique en particulier, toujours une question déjà perverse qui consiste à dire: pourquoi prendre position pour les juifs plus que pour d’autres? Pourquoi choisir? Si demain, dans mon pays, une autre communauté est soudain l’objet d’attaques de manière plus élevée qu’hier, je descendrai dans la rue de la même manière que je le fais contre l’antisémitisme. Aujourd’hui, c’est la communauté juive en Belgique qui fait l’objet d’une recrudescence d’actes de violence, c’est pour ça que je prends sa défense.”
À ma connaissance, vous n’êtes pas juif. Votre mère est catholique et votre père était un “bouffeur de curés” disiez-vous en 2021 dans un entretien paru dans L’Appel, un magazine chrétien…
“C’est la raison pour laquelle tous les artistes non juifs – dont moi – qui prennent position ont un poids beaucoup plus grand que les juifs qui parlent. Ce sont les Belges non juifs qui doivent être là dimanche. Si je suis philosophiquement de la partie dimanche, c’est grâce à cette étrange naissance qui est la mienne. Ma mère est de racine complètement catho, tandis que mon père était, à l’inverse, éduqué dans la laïcité façon ULB de l’époque des années 60. Pour exister, ce couple devait déjà travailler à une tolérance dans laquelle j’ai été éduqué. Avec cette tolérance, on juge les gens pour ce qu’ils font, pas pour ce qu’ils sont.”
La communauté juive a peur?
“Nous sommes le 7 décembre. Il est 12 h 19 et je vois tomber à l’instant sur le fil info de Libération, pendant cette interview, ceci: ‘Terrorisme: cibles juives en France. Une déclaration de l’État islamique pourrait intensifier la menace’. On voit tomber des menaces claires et précises. Ce ne sont pas des fantasmes. Il y a une dizaine de jours, des tombes juives ont été profanées en Belgique, comme à Carpentras, en France, il y a une trentaine d’années. Vouloir nuire à des morts, c’est très dégueulasse. À l’époque, le président François Mitterrand s’était rendu sur place tellement cela avait revêtu à ses yeux de l’importance. En Belgique, on s’est offusqué des profanations mais les gestes de ‘rassurance’ de l’arène politique belge sont, à de très rares exceptions près, à ma connaissance, absents. Comme souvent, là où le politique est défaillant, la société civile prend le relais avec des initiatives comme la marche de dimanche. Cette marche est apolitique. Il s’agirait qu’elle soit belge avant d’être juive. Si dans cette marche, la majorité des gens sont juifs, c’est un échec. Nous sommes beaucoup d’artistes à avoir signé cette charte qui dit en gros: ‘les juifs ont peur et on comprend qu’ils aient peur. Descendons dans la rue pour leur faire un gros câlin’. La belle histoire qui se raconte et à laquelle j’ai accepté, comme d’autres, de me joindre, c’est celle d’une Belgique qui fait un ‘hug’ (un câlin, NdlR) à sa communauté juive. Les autres histoires, celles qui sont générées par la haine, celles des ‘concours de victimes’ et des politiciens qui essayent d’exister en utilisant une cause, ces histoires-là, ne comptez pas sur moi pour les raconter. Elles ne font pas avancer les choses, elles ne vont pas vers la paix.”
Écolo et certaines organisations de gauche participeront à la marche tout en dénonçant une instrumentalisation de l’antisémitisme. La marche de dimanche comme l’antisémitisme est instrumentalisée?
“Einstein disait: ‘s’il n’y a pas de réponse, c’est que la question est mauvaise’. Ce que je vais dire ici ne s’adresse pas à vous en particulier mais aux médias en général: il y a comme un soutien aux tentatives de politiser le débat en Belgique (pour faire comme la France?) . C’est dommageable. Les organisateurs ne cessent pas de dire que cette marche est apolitique. Dire ‘n’y allez pas, elle est instrumentalisée!’, c’est justement tenter de l’instrumentaliser, à son profit. Marchons ensemble. Et surtout, à mon sens, c’est faux, aucun politicien n’est autorisé à porter de bannière pendant la marche donc arrêtons de diviser. Et c’est aussi contre ça qu’on va marcher. Dire que l’antisémitisme est instrumentalisé, qu’est-ce que ça vient faire si on est bienveillant? De la même manière, si le viol des femmes était instrumentalisé, est-ce que cela voudrait dire qu’il ne faudrait pas s’occuper de la problématique des femmes violées? C’est absurde et très pervers. La question n’est donc pas là.
La montée de l’antisémitisme en Belgique est-elle comparable à ce qui se passe en France où des gens sont placés sous protection policière comme l’animateur Arthur, la journaliste Ruth Elkrief?
“Chez nous, avant et après le 7 octobre (date de l’attaque du Hamas contre Israël, NdlR), le nombre d’actes antisémites a fait fois 10. C’est le même bordel en France mais notre débat public est pire. En termes de prises de position publiques, Jean-Luc Mélenchon a été lamentable mais il s’est fait rentrer dedans. Il est l’objet d’un débat ouvert et on lui tape sur les doigts. En Belgique, j’ai attendu que nos politiques montent au créneau pour appeler un chat un chat, dire que le Hamas est une organisation terroriste. La manière dont ceux qui ont été lâches en ne prenant pas position n’ont pas été remis politiquement à leur place est pire en Belgique qu’en France. Nos politiciens ont été lamentables et il ne s’en est pas trouvé beaucoup pour le dire. Les juifs en Belgique ne se sont pas sentis soutenus sur ce point. La tour Eiffel, la porte de Brandebourg à Berlin etc. ont été illuminées aux couleurs d’Israël, au lendemain des attentats, et les Belges n’ont pas vu le moindre drapeau flotter ici. C’est pour ça que je réponds à votre question mais les raisons de la marche de dimanche ne sont pas là. La question de la marche est celle de l’antisémitisme en Belgique. Il faudrait qu’on arrête de demander aux juifs belges de se justifier par rapport à la politique d’Israël car ça n’a aucun sens. Ils ne votent pas dans ce pays, ils n’y ont parfois jamais mis un pied. Il faut arrêter cette importation du conflit israélo-palestinien. Il faut aussi rappeler qu’il y a une différence entre ‘juif’ et ‘Israélien’. Les juifs d’ici ne votent pas là-bas, c’est aussi simple que ça! Si on demande à un juif belge de se justifier par rapport à ce qui se passe en Israël, on est déjà sur un terrain antisémite. C’est qu’on a déjà envie de faire chier le juif en question, il n’y est pour rien!”
Sur les ondes de RTL, Georges-Louis Bouchez, président du MR, a déclaré: “Écolo est un agent de l’islamisme radical”. N’est-ce pas mettre de l’huile sur le feu?
“Qui boute le feu? Celui qui ne prend pas une position claire contre les terroristes ou celui qui dit: ‘vous n’avez pas pris une position claire sur le terrorisme’? La marche doit être au-dessus de tout ça. Mais remettre à leur place ceux qui boutent le feu, ce n’est pas forcément bouter soi-même le feu. Toutes les récupérations politiques sont nulles à chier mais toutes les prises de position politiques ne le sont pas.”
Des mesures exceptionnelles entourent la marche de dimanche. Pour la première fois en Belgique, le parcours d’une manifestation n’est pas rendu public…
“Ça me donne envie de pleurer. Comment peut-on imaginer que quelqu’un soit pour l’antisémitisme? Quand on descend dans la rue contre la pédophilie, je ne peux pas imaginer que des gens ne soient pas d’accord. Je ne peux pas imaginer qu’on puisse avoir quelque chose contre cette marche. Ça me dépasse, même si je ne suis pas plus naïf qu’un autre et je sais que ça existe. Mais voilà, ça ne rentre pas dans mon cerveau. Le fait que cette marche soit ultraprotégée prouve qu’elle a une raison d’être. Malheureusement.”
Vous marcherez sans crainte dimanche?
“Je n’ai peur de rien quand il s’agit de valeurs qui sont pour moi inébranlables. Et puis j’ai confiance, tout sera hypercadré et je sais que les moyens policiers seront suffisants pour éviter des débordements. C’est une marche pacifique contre un racisme en recrudescence, en quoi pourrait-on nous en vouloir? Je marcherai sans peur.”
CHARLES VAN DIEVORT