“Rajae Maouane veut s'attaquer aux dérapages sur les réseaux sociaux? De qui se moque-t-on?”

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La co-présidente d'Écolo rétorque: «Rassembler les communautés, c'est mon combat».

À l'approche de la campagne en vue des élections de 2024, le parti Écolo et sa co-présidente Rajae Maouane, face à l'augmentation des dérapages sur les réseaux sociaux, en particulier envers les femmes et les minorités, veulent mettre le holà, dénoncer l'impunité et faire traduire en justice les internautes qui publient des messages haineux.

L'ironie est qu'il y a deux ans, la même Rajae Maouane déjà co-présidente d'Écolo provoquait elle-même la polémique sur son utilisation des réseaux.

Le 11 mai 2021, alors que la guerre faisait rage entre Israël et le Hamas, elle postait sur son compte Instagram une story pro-palestinienne que des membres de la communauté juive analysaient comme une incitation à la haine antisémite.

Illustrée par l'image d'un homme tenant d'une main un drapeau palestinien et de l'autre un lance-pierre, cette story Instagram était accompagnée par la chanson «Wein Al Malayeen» interprétée par la chanteuse libanaise Julia Boutros, connue dans le monde arabe pour le soutien qu'elle apporte au régime syrien de Bachar el-Assad et aux organisations du Hezbollah, du Hamas et du Jihad islamique.

Extraits: «Où sont les millions d'Arabes? Où est le peuple arabe? Où est la colère arabe? (...) Allah est avec nous plus fort et grand que les enfants de Sion. Ils massacrent, tuent. Nous gagnerons. (...) Dans ma poitrine un entrepôt d'armes. Et je me demande où sont nos frères arabes»

"Chant de guerre"

Réaction d'indignation de la Ligue belge contre l'antisémitisme et de son président Joël Rubinfeld: en plein conflit Israël-Hamas, la coprésidente d'un des principaux partis du pays, de surcroît au pouvoir, ne diffuse rien moins qu'une chanson appelant le «peuple arabe» à prendre les armes contre les «enfants de Sion» (c'est-à-dire: les Juifs, dans le lexique islamistes).

La presse relayait la polémique, telle la DH qui titrait (13 mai 2021): «Rajae Maouane (re)trébuche, cette fois sur le conflit israélo-palestinien».

"Très choquée"

Rajae Maouane réagissait. La coprésidente d'Écolo se disait très choquée d'être accusée d'antisémitisme. «Je suis profondément heurtée que l'on puisse me prêter des intentions antisémites alors que je n'ai eu de cesse, dans mon engagement politique et associatif, de rapprocher les deux communautés. Le respect, le dialogue et la valorisation des cultures sont au cœur de mon engagement politique. En accompagnant cette photo d'un court extrait d'une chanson, mon intention n'était nullement de heurter qui que ce soit. Si tel est le cas, je le regrette», concluait-elle.

Sauf que la LBCA revenait à la charge. En seconde analyse, la Ligue belge contre l'antisémitisme avançait que cette chanson «Wein Al Malayeen» est en réalité «bien plus qu'une 'simple' chanson hostile à Israël», mais «un chant de guerre appelant les masses arabes à prendre les armes contre les Juifs, c'est-à-dire notamment contre 35.000 Belges de confession juive». Elle s'appuyait pour cela sur l'analyse de Guillaume Dye. Pour le professeur d'islamologie à l'ULB Guillaume Dye, un passage de la chanson fait en effet référence à une sourate (la sourate Al-Fil) qui n'appelle rien moins qu'à l'annihilation complète des Juifs; au génocide des Juifs.

Indignation supplémentaire de la Ligue contre l'antisémitisme qui apprenait le lundi d'après que le parti Ecolo, après une réunion de son bureau politique où la question était «évacuée en quelques minutes» selon ce qui était rapporté, apportait son soutien entier à sa co-présidente.

La polémique suscitait par contre des réactions à l'international. Lors d'une session en septembre à Genève du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies consacrée à l'examen périodique de la Belgique, le directeur de l'ONG UN Watch dénonçait le post Instagram de Rajae Maouane tout en s'étonnant du silence du gouvernement belge dans cette affaire.

Ce que Joël Rubinfeld ne manque pas de rappeler quand il apprend il y a dix jours que Mme Maouane, avec Ecolo, veut s'attaquer aux dérapages sur les réseaux sociaux. «Je n'ai pas connaissance d'un message tenu par un responsable politique du champ démocratique, dont la violence est aussi forte que le sien: un appel au génocide du peuple juif. Coprésidente d'un parti présent à plusieurs niveaux de pouvoir, elle postait cette chanson en langue arabe, à destination d'un public et à un moment où un Nemmouche ou un Merah pouvait la prendre au pied de la lettre. C'était aggravé par le fait que Mme Maouane n'a pas été démise de ses fonctions mais a reçu le soutien de son parti. De qui se moque-t-on?», interroge Joël Rubinfeld. «Avec 35.000 électeurs, la communauté juive représente à peine 0,3% du corps électoral et ne pèse rien. Trop nombreux sont les politiques qui ne réfléchissent pas en fonction de l'éthique mais de l'arithmétique.»

Rajae Maouane réagit

Avec Ecolo, Rajae Maouane, contactée, a réagi par l'entremise du porte-parole, Baptiste Erpicum. «Depuis de longues années et dès le début de son engagement, tant associatif que politique, au fil d'échanges et de rencontres, Rajae Maouane, coprésidente d'Écolo, a noué des relations très positives et très solides avec les associations juives, ainsi qu'avec de nombreuses associations œuvrant au dialogue interculturel. M. Rubinfeld est bien sûr libre d'exprimer son opinion sur Mme Maouane, mais ce n'est pas celle des personnes juives avec lesquelles nous sommes régulièrement en contact. Rassembler les différentes communautés, c'est l'un des piliers de l'action des écologistes et une priorité pour Rajae Maouane, et ça le restera toujours».

Baptiste Erpicum rappelle la réaction d'associations, dont celle de l'Union des progressistes Juifs de Belgique (UPJB) qui, contrairement à la LBCA et Rubinfeld, apportaient leur «soutien inconditionnel» à Mme Maouane après sa publication controversée sur les réseaux, estimant la cheffe de file verte victime de «calomnies» et de «campagnes d'intimidation» en raison de son «engagement pour les droits humains en Israël-Palestine».

GILBERT DUPONT

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