Se balader à Bruxelles avec une kippa, l'impossible expérience
«Vous cherchez un homme qui porte la kippa et qui accepterait de se balader avec vous équipé d’une caméra discrète ? Et bien bonne chance!» Cette phrase prononcée par un membre de la communauté juive résume bien notre histoire.
Tout commence il y a quelques semaines. Alors que nous préparons un reportage sur l’antisémitisme, nous découvrons que ces trois dernières années, le nombre d’actes antisémites répertoriés par la plateforme antisemitisme.be est en diminution. 35 en 2017 contre 109 en 2014. Seulement voilà, le sentiment d’insécurité qu’éprouve une majorité de personnes de confession juive est lui, plutôt en augmentation. C’est à ce moment-là que nous décidons de tenter une expérience: arpenter les rues de la capitale avec une personne qui affiche son judaïsme au quotidien. Nous souhaitons voir si ces craintes sont justifiées. Mais cela s’avère très vite compliqué, voire impossible.
La casquette plutôt que la kippa
A Bruxelles, les juifs pratiquants sont nombreux à avoir remplacé la kippa par la casquette depuis une dizaine d’années. Une mesure de précaution rentrée dans les mœurs.
Il reste pourtant quelques irréductibles à commencer par certains rabbins. Nous contactons deux d’entre eux. "Vous voulez faire ça dans quels quartiers?" nous demandent-ils. Au quotidien, ils évitent certains lieux qu’ils jugent trop risqués et finalement refusent notre demande. " Je ne veux pas être médiatisé. Demandez au grand Rabbin de Belgique. Il a l’habitude " nous disent-ils. Le grand rabbin, c’est Albert Guigui. En 2001, il s’est fait agresser à Anderlecht et aujourd’hui, il fait partie de ceux qui ne portent plus la kippa . Dans un premier temps il accepte de modifier ses habitudes pour les besoins de notre reportage, mais revient ensuite sur sa décision. Il nous explique que le service de sécurité de la communauté juive lui a dit de ne pas le faire.
Alors nous commençons à nous poser des questions. Nous décidons pourtant de ne pas abandonner et nous contactons d’autres personnes parmi lesquelles l’un de nos confrères de Radio Judaïca, plusieurs représentants de la communauté juive ou encore un épicier Kasher. Eux-mêmes se mettent à chercher pour nous. Au total, nous passons des dizaines de coup de fils et finissons par tourner en rond. " J’ai entendu dire que vous cherchiez cela, on m’en a parlé " nous affirme l’un d’eux.
Et puis un jour, nos démarches finissent par payer. Un homme accepte. Il nous explique qu’il est régulièrement victime d’insultes. " Vous ne portez jamais plainte ? " lui demandons-nous. " Et vous, vous portez plainte lorsque vous vous faites siffler dans la rue ? " nous répond-il. Nous décidons de nous recontacter deux jours plus tard pour fixer un rendez-vous mais il ne décrochera jamais son téléphone…
D'accord, mais seulement sous escorte
Retour à la case départ. Nous abattons alors une dernière carte et contactons Joël Rubinfeld, le président de la ligue belge contre l’antisémitisme. Il ne porte pas la kippa mais nous savons qu'il est d’accord de se prêter à l’expérience. Il ne le fera cependant qu’à une seule condition : il veut être escorté par un agent de sécurité, lui-même en contact avec les différentes zones de police. Un dispositif compliqué à mettre en place.
Nous prenons conscience qu’il existe une véritable crainte. Une peur nourrie au fil des ans par les différents attentats et crimes antisémites chez nous ou en France: l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006, la tuerie de Toulouse en 2012, l’attentat du musée juif en 2014, l’hypercacher en 2015 ou encore la mort de Mireille Knoll le 23 mars dernier.
Aujourd’hui, il est conseillé aux fidèles de ne pas porter la kippa en arrivant ou en quittant les synagogues. Pour vivre heureux, les juifs doivent-ils vivre cachés ? Nous ne ferons jamais l’expérience… Et dans notre reportage, il n'y aura finalement pas de kippa.
NATACHA MANN