Les juifs belges vivent dans la crainte d’un nouvel attentat

Le Monde |


Un an après l’attaque contre le Musée juif de Bruxelles, certains juifs belges se plaignent de harcèlement et songent à quitter le pays.

Ils sont trois, rencontrés à des moments différents, à user de la même image: «Les juifs sont comme des canaris dans une mine. Quand ils s’en vont, un grand malheur s’annonce.» Un an après l’attaque contre le Musée juif de Bruxelles, sans doute commis par Mehdi Nemmouche, un islamiste radical français actuellement emprisonné, la communauté juive de Belgique se demande si elle doit partir ou rester.

On évoque quelque 500 personnes seulement qui auraient quitté le royaume, vers Israël ou ailleurs, sur une communauté de 35 000 membres. «Je ne connais toutefois pas une seule famille qui ne s’interroge pas», explique Joël Rubinfeld, le président de la Ligue belge contre l’antisémitisme.

Les récits inquiets abondent. Une étudiante de l’Université libre de Bruxelles demandant à prendre le nom de sa mère, celui de son père, «trop juif», lui valant d’être harcelée. Une lycéenne qui a dû quitter un établissement du quartier populaire de Laeken, dans le nord de la capitale, elle aussi victime d’attaques diverses: elle y était la dernière élève juive. Les W. d’Uccle, banlieue aisée de Bruxelles, ont enlevé leur nom de la porte d’entrée, ne veulent plus aller au magasin casher et ont placé leur cadet dans une école catholique. «Pour qu’il ne soit pas une cible, pour qu’il n’ait plus à passer entre quatre soldats armés surveillant l’école juive», dit Claire, sa maman.

«Si un père de famille me consulte sur un départ éventuel, je lui demande s’il est sioniste. Si c’est le cas, je lui dis d’aller s’installer en Israël. Sinon, je lui dis que je comprends sa peur, mais qu’il doit lutter avec moi», déclare Maurice Sosnowski. Cet anesthésiste a présidé le Comité de coordination des organisations juives de Belgique. Et il estime que «le simple fait que certains s’interrogent aujourd’hui sur un exil est un signe inquiétant».

En 2009, une manifestation contre la répression israélienne à Gaza a été émaillée de nombreux «Mort aux juifs!» Des slogans condamnés trop mollement par une classe politique soupçonnée de faiblesse ou de compromission parce qu’elle serait contrainte, à Bruxelles surtout, de ménager l’importante communauté musulmane. Et après l’attentat de mai 2014, déplore M. Sosnowski, il a fallu attendre trop longtemps aussi pour que les autorités décrètent la tolérance zéro à l’égard des actes antisémites. Le médecin se souvient également avec émotion de ce jour où il s’est rendu chez le premier ministre pour lui demander une meilleure protection des lieux fréquentés par la communauté: des journalistes ont immédiatement tweeté «Les juifs veulent de l’argent». «J’en ai pleuré», affirme le médecin.

«Des musulmans restent ouverts au dialogue, mais je crains qu’ils soient de plus en minoritaires», déplore Jenny N. Cette Française, qui veut qu’on taise son patronyme, a fait le choix («pour mes enfants») de s’exiler dans la banlieue de TelAviv: «Nous partons en juillet et c’est un crève-coeur, mais notre sécurité doit primer.»

«Ma véritable inquiétude porte sur le moyen terme, dit de son côté M. Rubinfeld. L’islamisme alimente l’extrême droite, et nous pourrions avoir affaire aux deux faces d’une même pièce, sauf si les forces démocratiques réagissent énergiquement.»

Entretemps, le Centre pour l’égalité, un organisme para-étatique, a reçu 160 plaintes pour actes antisémites en 2014. Une augmentation de 60 %. Un bar a affiché: «Interdit aux chiens et aux sionistes.» «Je ne peux plus aller dans le centre de Bruxelles sans cacher l’étoile de David que je porte au cou, dit Jenny. Et je revis quelque chose…»

«Les récents attentats en Europe ne visaient pas uniquement des juifs, mais notez qu’à Paris, à Bruxelles, à Copenhague ils ont, à chaque fois, visé également des juifs, analyse M. Rubinfeld. Quand un totalitarisme émerge, il teste la démocratie. Il faut comprendre que la menace est plus large et ne vise pas seulement les “canaris” que nous sommes…»

Son arrière-grand-père a dû fuir la Russie, son grand-père a été forcé de quitter la Pologne pour l’Autriche, son père a quitté l’Autriche après la Nuit de cristal: «Nous avons la tradition de la valise, et j’espérais poser définitivement la mienne. Aujourd’hui, je ne sais pas. Je m’interroge.»

JEAN-PIERRE STROOBANTS

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