Être juif en Belgique en 2015

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Les chiffres sont tombés voici moins d'une semaine: les signalements de faits d'antisémitisme enregistrés par le Centre pour l'égalité des chances sont en forte hausse. On en comptait 88 en 2012, 85 en 2013 et… 130 en 2014. Il est révélateur de constater qu'un nombre sans cesse croissant de ces signalements concerne internet et des propos tenus sur les réseaux sociaux, les blogs, les forums. On ne peut que constater que l'opération militaire menée par Israël à Gaza l'été dernier a contribué à cette explosion. Car si l'on parle de recrudescence de l'antisémitisme, la grille de lecture n'en est évidemment plus la même. On peut espérer qu'après Auschwitz, la société occidentale est en grande partie vaccinée contre ces dérives. Mais le fait est que, après Toulouse en 2012, des terroristes musulmans ont, au Musée juif de Bruxelles, à l'Hyper-Casher de Paris ou à la synagogue de Copenhague, visé et tué des Juifs parce qu'ils étaient juifs. A chaque fois, une inquiétude a commencé à se faire jour: et si les Juifs étaient à nouveau indésirables dans nos pays et qu'il leur faille trouver asile ailleurs? En Belgique, cela a notamment été une vidéo sur le web, intitulée «Dois-je partir?». A chaque fois, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a lancé que les Juifs étaient les bienvenus en Israël, qu'il leur conseillait même de venir s'installer dans l'Etat hébreu, ce que font massivement (7.000) des Français (ils vivent souvent dans des banlieues devenues majoritairement musulmanes), marginalement des Belges (233 l'an passé). A chaque fois, les dirigeants – français, belges, danois – ont martelé que la place des Juifs était ici. Dans ce cahier spécial, nous sommes allés à la rencontre de cette communauté de 30.000 à 40.000 personnes, tellement diverse qu'on aime à y dire: «Mettez trois Juifs dans une pièce, vous aurez quatre opinions.»

Antisémitisme: Les Juifs ont-ils raison d’avoir peur voire de vouloir quitter la Belgique?

Ne dites pas que vous n’avez jamais entendu ce stéréotype: «Les Juifs sont paranos, ils ont peur de tout.» Sans faire de psychanalyse à deux balles, on pourra toujours répondre que six millions de morts dans les camps nazis sont passés par là. «Il y a une phrase terrible, dit le grand rabbin de Bruxelles, Albert Guigui: il ne reste que les pessimistes, les optimistes ont été déportés.» L’antisémitisme a changé de visage. «Il n’a jamais cessé même s’il y a des phases plus aiguës, explique Henri Gutman, président du Centre communautaire laïc juif. L’antisémitisme est une vieille histoire mais la main du coupable n’est plus la même: d’abord le christianisme, aujourd’hui l’islam. Il y a des similitudes. Si les musulmans se moquent que les Juifs ont “tué” le Christ, il y a de leur part depuis toujours un rejet et une inégalité. L’âge d’or andalou est une exception. Ce fond a toujours été là sans être aussi meurtrier aujourd’hui, tous les fondamentalistes sont antisémites, y compris les Frères musulmans, présents en Belgique.»

Les actes antisémites sont en augmentation, c’est un fait. «Mais la grande différence, rappelle le rabbin Guigui, entre 1940 et aujourd’hui, c’est qu’à l’époque, il y avait un antisémitisme d’Etat; à présent, ici, les Etats font tout pour lutter contre l’antisémitisme.»

Il ne se trouvera personne – ni dans la communauté juive ni en dehors d’elle évidemment – pour dire que cette peur et ces angoisses ne seraient pas justifiées. De là à voir croître le nombre d’alyahs (immigrations vers Israël) ou en tout cas de départs d’Europe, il y a un pas. Que Philippe Markiewicz, président de la Communauté israélite de Bruxelles, refuse de franchir: «Je m’insurge contre ceux qui jouent des peurs pour brandir cette idée du départ. L’immense majorité des Belges juifs pensent, comme moi, que les autorités de l’Etat ont pris la mesure de la situation. Certains disent vouloir partir parce qu’ils se sentent mal à l’aise avec ces mesures de sécurité? Mais que diraient-ils si le gouvernement n’avait pas pris ces mesures? Qu’on ne les protège pas? La communauté est demandeuse de ces mesures. Et l’alyah concerne 250 personnes par an sur 40.000! Je me sens en sécurité en Belgique. Oui, il y a une augmentation des agissements antisémites, oui, ils sont impardonnables mais non, ils ne sont pas passés de 1 à 100.»

Anne Grauwels, co-présidente de l’Union des progressistes juifs de Belgique, va dans le même sens: «Les gens sont bien sûr libres de faire ce qu’ils veulent mais je ne crois pas que partir est une solution. Personnellement je me sens profondément européenne, notre place est ici, dans une société de plus en plus multiculturelle, tout ce que j’aime, mais ce n’est pas facile. C’est ici qu’il faut se battre, pour une société libre, juste et solidaire. Et ne pas céder à la tentation de la stigmatisation nous-mêmes. Au contraire, il s’agit de tisser des liens. Les préjugés, c’est bien connu, sont basés sur l’ignorance.»

Cette dernière phrase est reprise à son compte par Albert Guigui, lequel tempère: «La peur est mauvaise conseillère. Si vous devez quitter la Belgique par peur, ne le faites pas, ce sera toujours un échec là où vous irez. Si c’est un choix personnel, professionnel, une envie, c’est autre chose. Quitter l’Europe par peur, c’est faire le jeu des extrémistes, c’est ce qu’ils veulent. Il ne faut rien changer à nos habitudes, il faut que les synagogues restent pleines.»

Au CCLJ, Henri Gutman l’avoue: «Il nous a fallu du temps pour reconnaître non le phénomène mais son intensité parce que cette idée du départ ne correspondait pas à nos valeurs. On s’est focalisés sur l’extrême droite mais on n’a pas voulu voir l’antisémitisme musulman car il émanait d’immigrés qui sont eux-mêmes discriminés. Il faut le dire, le reconnaître! Mais je n’entends pas de parole d’Etat forte, du Roi par exemple, en Belgique sur ce sujet. Battons-nous, la fuite n’est pas une solution, le mal est global mais je crois en la force de la démocratie et de nos gouvernements.»

Ne pas céder à la terreur, c’est aussi la pensée de Jonathan De Lathouwer, président de l’Union des étudiants juifs, qui est pourtant apparu dans la vidéo virale «Dois-je partir?»: «L’idée était justement de tirer la sonnette d’alarme, d’interroger la société belge, pas de pousser à partir. Partir est un échec. Notre combat, on doit le mener ici. Mais on ne peut pas réussir tout seuls. Aujourd’hui, on tue des Juifs dans les écoles, les musées, les magasins, les synagogues. Je ne peux que comprendre l’inquiétude des jeunes qui se demandent: “Vais-je faire grandir mes enfants dans cette société-là?”»

Maurice Sosnowki, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), fait partie de cette immense majorité de Juifs qui se définissent d’abord comme belges et ne pensent même pas une seconde que leur pays pourrait être ailleurs. «Je suis un citoyen belge juif, je remercie chaque jour la Belgique d’avoir accueilli mes parents qui sortaient d’Auschwitz et qui m’a permis de progresser dans l’échelle sociale. Nous étions intégrés parfaitement, il n’y a jamais eu de problème d’antisémitisme. J’étais contre la protection par l’armée au départ, je ne vois pas pourquoi je dois être protégé, mais, dans les faits, il y a une demande de protection qui m’affole. Mais, dans la génération éduquée en Belgique, les 30-40 ans, la force de la nation, il y en a beaucoup qui veulent partir, mais pas nécessairement vers Israël mais aussi les Etats-Unis, le Canada, l’Australie. Quand les enfants ne sont plus à l’aise à l’école publique et sont encadrés par l’armée à l’école juive, il y a une angoisse naturelle. Ils ne partent pas mais ils pensent partir, c’est le plus inquiétant.»

L’école publique où l’on n’est plus à l’aise, cela pourrait être l’athénée Emile Bockstael, à Bruxelles, qu’a quitté récemment sa dernière élève juive. Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA), avait alors parlé d’école «judenfrei»: «Je crains que, dans 20 ans, si la confiance n’est pas restaurée et que le problème n’est pas endigué, ce soit la Belgique tout entière qui soit “judenfrei”. Je ne connais pas de famille qui ne se pose pas la question, moi-même je me la pose. De là à passer à l’acte, c’est autre chose. Je n’ai pas envie de partir, je n’ai vécu qu’en Belgique même si j’ai une affection profonde pour Israël. Le dilemme des Juifs est de vivre dans la peur d’être une cible parce qu’ils portent une étoile de David. Je suis assez pessimiste sur la suite pas seulement au niveau des Belges juifs mais de toute la société européenne et crains qu’un nombre de plus en plus grand d’Européens basculent du côté de l’extrême droite. On ne guérit pas la peste avec le choléra, on ne résume pas le choix à islamisme ou fascisme.»

Toujours désireux de jeter des ponts entre les communautés, le grand rabbin Guigui estime qu’il y a «aujourd’hui une inquiétude générale, pas seulement au sein de la communauté juive mais de la part de tous les Européens parce qu’ils voient leurs valeurs démocratiques se fragiliser et se déstructurer. La constante des attentats récents, c’est de s’attaquer aux libertés – incarnées par la liberté d’expression –, aux autorités et à la communauté juive qui est doublement menacée, comme européenne et comme juive. Il faut changer le “vivre ensemble” en “construire ensemble”, avoir des projets communs, prendre l’autre tel qu’il est et non tel qu’on voudrait. L’être humain a, par nature, peur de l’inconnu et s’enferme. Ici, on parle de vivre ensemble mais cela n’existe pas.»

Jamais, sans doute, au cours de son histoire, la communauté juive n’a-t-elle été aussi protégée et, paradoxalement, jamais, depuis la 2e Guerre mondiale, n’a-t-elle eu si peur. C’est de la responsabilité de nos Etats de s’emparer du problème. Et dans leur intérêt. Les Juifs belges aiment à se comparer au canari qu’on utilisait dans les mines comme détecteur de gaz toxiques. Quand le petit oiseau jaune suffoquait, les mineurs comprenaient qu’il fallait remonter au plus vite pour éviter le coup de grisou. On en est là.

JEAN-FRANÇOIS LAUWENS

Proche-Orient: Les Juifs portent-ils tous les péchés d’Israël?

L’antisémitisme – culturel, presque traditionnel – de l’Occident chrétien jusqu’à Auschwitz n’a plus rien à voir avec celui aujourd’hui manifesté par les musulmans. Beaucoup estiment que c’est avant tout le résultat de la persistance du conflit israélo-palestinien depuis 1947. «Malheureusement, consciemment ou pas, il occupe une place certaine, déplore Philippe Markiewicz. Je comprends que mes concitoyens musulmans soutiennent les Palestiniens comme je soutiens l’existence d’Israël, mais la Belgique est un pays de dialogue où il y a une tradition de vivre ensemble, ce conflit ne peut y être exporté.»

Joël Rubinfeld, président de la LBCA, date cette importation du conflit à «la fin septembre 2000, au déclenchement de la deuxième Intifada et à la diffusion du fameux reportage de Charles Enderlin sur France 2 montrant un enfant palestinien tué par des balles israéliennes (NDLR: une énorme polémique a suivi sur cette question). La vie de nombre de Juifs a changé à partir de ce moment, mon rabbin a commencé à se faire insulter en rue. C’est un marqueur à tel point qu’aucune statistique sur les actes antisémites n’existait avant 2001. Le Proche-Orient a donc été révélateur: cela n’explique pas l’antisémitisme mais en a été le prétexte». Selon lui, comme pour d’autres, «l’antisionisme est la forme contemporaine de l’antisémitisme. Il y a eu un anti-judaïsme religieux, puis un antisémitisme racial et enfin, après la Shoah, un antisémitisme territorial qui a substitué Israël au Juif. Sionisme est un mot mal utilisé, il signifie “défense de l’existence de l’Etat d’Israël”, antisionisme signifie alors “refus de reconnaître cette existence”, mais cela a pris le sens de “critique de la politique israélienne”. Là, on ne parle pas d’antisémitisme ou alors 80 % des Israéliens sont antisémites!»

Maurice Sosnowki, président du CCOJB, est sur la même ligne lorsqu’il «pense comme le sociologue Didier Lapeyronnie que la focalisation sur les événements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites et non l’inverse. Depuis que, peut-être après la Guerre des Six Jours en 1967, le monde s’est peu à peu retourné contre Israël, il a été plus simple d’exprimer une parole antisioniste et cela a totalement changé la donne. Evidemment, tous les gens qui critiquent Israël ne sont pas des antisémites. C’est l’extrême gauche, qui a une tradition antisémite, qui attaque le plus Israël et cet antisémitisme est moins combattu que celui d’extrême droite. Et quand on dit qu’il vient des musulmans, on vous taxe vite d’islamophobe. L’association de l’extrême gauche avec l’islamisme est un danger pour la société. Je critique la politique de Netanyahou, mais la presse ne met jamais rien de positif en avant quand on parle d’Israël».

C'est aussi ce que pense le grand rabbin Albert Guigui: «Tout ne se réduit pas à Israël, loin de là. Netanyahou n'est pas un critère de judaïsme, c'est un politique et Israël est un pays comme les autres, que l'on peut critiquer tant qu'on veut, mais c'est intolérable quand ce n'est que dans un sens.» Un bashing à l'endroit d'Israël? Henri Gutman le pense: «A force de critiquer Israël, l'obsession à critiquer Israël finit par ressembler à de l'antisémitisme.» Mais, pour lui non plus, le Proche-Orient n'est pas l'origine du mal: «L'antisémitisme de base a toujours existé, mais il y a un amalgame entre Israéliens et Juifs qui n'est pas fortuit, mais le résultat d'une manipulation de la part de champions de la cause palestinienne, arabes ou non. Les Israéliens sont juifs à 80%, mais les Juifs qui sont ici ne sont pas, au contraire des Turcs ou des Marocains, issus d'une immigration d'Israël. Je n'accuse pas, moi, les Turcs de Belgique d'être les assassins des Arméniens. Au CCLJ, nous condamnons la colonisation israélienne!»

Pour Jonathan De Lathouwer, aussi, «l'antisémitisme arabo-musulman n'a pas attendu le conflit israélo-palestinien: il y a eu des pogroms à Damas, Tripoli, Constantine, Bagdad dans les années 30 et 40. Dans une Europe traumatisée par la Shoah, l'antisémitisme s'est adapté. Le conflit du Moyen-Orient est devenu un alibi pour faire ressortir les vieux mythes antisémites, comme le Protocole des Sages de Sion. On a transposé la Shoah au Proche-Orient en y mettant le Juif dans le rôle du nazi».

L'antisémitisme serait donc un thème «éternel», qui se nourrit actuellement de ce qui se passe en Terre sainte. Anne Grauwels: «Il existe un vieux fond d'antisémitisme séculaire, une parole enfouie qui refait surface. Lors des événements de Gaza cet été par exemple, des gens bien ont parlé d'Holocauste ou de gazacauste. Il se dit aussi que les Juifs ont perdu leur crédit de sympathie. Sous-entendu: On s'est tu pendant des années parce qu'ils ont tant souffert mais maintenant c'est fini, ils font la même chose. Il y a un amalgame Juifs, Israéliens, sionistes. Ceci dit, être antisioniste ne veut pas nécessairement dire être antisémite. Certaines personnes tout à fait respectables et même parfois juives, se déclarent antisionistes; moi-même je n'irai pas jusque-là mais je revendique le droit, en tant que juive, de critiquer la politique et l'Etat d'Israël, sans attenter à sa légitimité.»

JEAN-FRANÇOIS LAUWENS

Politique: Les Juifs ont-ils été lâchés par la classe politique?

Généralement, les représentants de la communauté juive estiment que l'attitude des autorités belges fut à la hauteur du péril, après les attentats du Musée juif de Bruxelles, puis de Paris. Certains ont cependant des doléances à formuler envers une partie de la classe politique, singulièrement bruxelloise, accusée de s'être montrée complaisante envers certains discours à caractère antisémite, pour de triviales raisons électoralistes. Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l'antisémitisme, se montre le plus dur: «La gauche en général a abandonné le combat contre l'antisémitisme et a sacrifié la communauté juive sur l'autel de l'électoralisme, affirme-t-il. S'il y avait 600.000 Juifs et 40.000 musulmans, 300.000 Arméniens et 20.000 Turcs, et non le rapport inverse, les choses seraient totalement différentes!»

Il y a en tout cas une demande commune à tous les représentants de la communauté juive: «Que l'on nomme les choses. On n'a pas de mal à dénoncer l'antisémitisme d'extrême droite mais on ne parvient pas à dire qu'il y a un antisémitisme musulman car les immigrés sont aussi discriminés.»

Si l'ensemble des partis francophones a pris acte de la crainte (voire de la peur) qui s'est emparée de la communauté juive, et juge celle-ci intolérable, CDH, Ecolo, MR et PS rejettent toute accusation de communautarisme les concernant. «Il n'a jamais été question de se lancer dans des calculs d'apothicaires en consacrant plus d'attention aux uns ou aux autres, en fonction de leur nombre, affirme ainsi le président du CDH, Benoît Lutgen. L'état de santé d'une démocratie se jauge à l'attention que l'on porte aux minorités, et même aux extrêmes minorités, qu'il faut respecter et protéger. Pour le reste, et pour parler de mon parti, je tiens quand même à rappeler que le jour où un de nos échevins s'était fendu de propos antisémites par mail (à Crainhem, en octobre 2014, NDLR), j'ai immédiatement demandé que le comité de déontologie se réunisse, entende la personne, et le soir même, elle était exclue du parti. Pas question de tergiverser avec ce genre de comportement. De même, l'Etat doit apporter une réponse extrêmement ferme vis-à-vis de tous les comportements et des paroles qui sont inacceptables, quels qu'ils soient – avec toute la difficulté que constitue la propagation de la haine par les canaux numériques. Mais il est extrêmement important que la condamnation vienne aussi des communautés concernées et, pour ce qui est des propos antisémites, de la communauté musulmane. L'avantage, quand les autorités religieuses s'expriment, c'est qu'elles le font au nom de l'ensemble de leur communauté.»

Du côté de chez Ecolo également, on refuse toute accusation de communautarisme. «S'il y a bien un parti qui s'est battu pour l'obtention de droits depuis 1980, sans entreprendre de démarches clientélistes dans la foulée, c'est nous!, explique le député bruxellois vert, Christos Doulkeridis. Nous n'avons jamais bénéficié d'un vote communautaire en récompense: toutes les études électorales le montrent.»

Mais concernant les autres formations? Notre interlocuteur se veut mesuré. «Je ne veux pas tomber dans le piège consistant à nous opposer et à trouver des coupables, car le terrorisme a ceci de particulier qu'avec peu d'actes, on peut vraiment fragiliser une société», lâche Doulkeridis. Mais d'enchaîner: «Je pense tout de même qu'il y a eu clairement des dérapages, pour flatter une communauté. Des compromissions. Parfois passives: une difficulté de dire les choses, par peur de la stigmatisation, en se disant: ces personnes sont déjà en difficulté sur le plan social, sur le plan de l'insertion par l'emploi, par le logement… ne le stigmatisons pas davantage, en risquant, en plus, de faire des amalgames avec les terroristes. C'est une attitude qui est présente au sein de la gauche et qui, je pense, est une erreur. Il faut être capable d'avoir des discours clairs tout en veillant absolument à n'accepter aucun amalgame. Mais c'est possible de le faire.»

Pour sa part, le député fédéral MR Richard Miller se montre beaucoup plus clair encore. «Ma formation politique s'est toujours intéressée à l'électorat dans sa complexité, mais aussi dans son entièreté, et en ne rejetant personne, affirme-t-il. Mais à partir du moment où des formations politiques, en l'occurrence le Parti socialiste, et le CDH aussi, ont eu tendance à faire belle-belle avec un électorat qu'ils croyaient facile à prendre, des clivages se sont institués.»

Du banc des accusés, Laurette Onkelinx, la présidente de la fédération bruxelloise du Parti socialiste, se rebiffe. «Je suis lasse d'entendre ça!, s'exclame-t-elle. Le PS combat pour l'égalité des citoyens quelle que soit leur origine. Philippe Moureaux est le père de la loi contre le racisme et l'antisémitisme; je suis la mère de la loi contre la discrimination, quelle qu'en soit l'origine. Quand il était Premier ministre, Elio Di Rupo a fait un discours à la Caserne Dossin à Malines pour reconnaître la responsabilité des Belges dans la Shoah. Le PS a été victime de sentiments anti-musulmans mais également de sentiments antisémites. Je peux en témoigner à Schaerbeek, où un candidat d'origine juive (NDLR: Yves Goldstein) était deuxième sur la liste aux communales… Donc, je dis: ça suffit d'entendre toujours ça. Parlons des actes!»

Des actes? Par-delà les polémiques sur le passé, chacun s'accorde sur la nécessité de travailler le fameux «vivre-ensemble», qui s'est gravement délité: en luttant avant tout contre l'ignorance, qui engendre amalgames, simplismes et in fine violences, verbale et physique. Mais les temps sont durs car, comme le rappelle Richard Miller, nous sommes aussi dans une période de crise financière et économique. «Et il n'y a rien à faire, c'est un réflexe humain qui traverse toutes les sociétés: quand surgissent des problèmes de cet ordre-là, c'est beaucoup plus facile, c'est beaucoup plus réconfortant de désigner un bouc émissaire», conclut-il.

WILLIAM BOURTON

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