La fronde anti-Zemmour marque un point
La polémique Eric Zemmour se poursuit. Un collectif dépose plainte, tandis que la librairie Filigranes annule sa séance de dédicaces pour des raisons de sécurité.
Après une légère accalmie entre les deux fêtes, la polémique Zemmour reprend de plus belle. La venue du polémiste français à Bruxelles le mardi 6 janvier prochain, dans le cadre de conférences au cercle de Lorraine ainsi qu'au B19 Country Club d'Uccle, provoque à nouveau de nombreuses réactions. Plus que cela, différents groupes et associations passent désormais à l'action, entre dépôt d'une plainte et organisation de manifestations. Avec une première conséquence bien concrète: l'annulation de la séance de dédicaces initialement prévue à la librairie Filigranes.
1 - La communauté musulmane s'enflamme. Il y a près de deux semaines, c'est la conseillère communale Ecolo Zoubida Jellab, qui réclamait l'interdiction du polémiste. En ces premiers jours de janvier, ce sont plusieurs associations musulmanes qui s'insurgent. Le bal s'est ouvert par la plainte déposée par le Collectif contre l'islamophobie en Belgique (CCIB) auprès du procureur du Roi. Créé il y a quelques mois, ce groupe entend devenir un interlocuteur de premier plan. Pour Hajib el Hajjaji, vice-président du CCIB et par ailleurs suppléant Ecolo aux dernières européennes, «Eric Zemmour véhicule des propos faux, il collectionne les amalgames et il a déjà été condamné pour cela. Comment peut-on construire le vivre ensemble alors qu'un club qui rassemble l'élite politique et économique de notre pays, déroule le tapis rouge à un tel interlocuteur?»
Mais l'argument décisif réside dans la différence de traitement dont se sent victime une partie de la communauté musulmane. Le Collectif pointe en effet ce qu'il considère comme une «incohérence» dans le discours politique entre l'interdiction de territoire imposée au prédicateur koweïtien Tareq al Suwaidan, invité à la foire musulmane en novembre dernier et qui avait tenu des propos antisémites notoires, et la non-réaction à la venue de Zemmour. Un argument également brandi par le collectif de citoyens d'origine musulmane EmbeM et par les organisateurs de la Foire musulmane qui parlent d'une «liberté d'expression à géométrie variable» et dénonce une politique «deux poids, deux mesures». Cette position n'est cependant pas partagée par l'ensemble de la communauté. Le «think-tank Vigilance musulmane», ASBL créée par des juristes, estime en effet que le principe de la liberté d'expression doit primer. «Nous considérons que toute limitation de la liberté d'expression doit rester la prérogative d'un juge a posteriori et non a priori», explique Abdelghani Ben Moussa, coordinateur de la plateforme. La Ligue des droits de l'homme et le Centre interfédéral pour l'égalité des chances se sont aussi prononcés contre toute interdiction préalable.
2 - Filigranes renonce. Parallèlement, le groupe d'extrême droite Nation et le Comac, mouvement des jeunes PTB, invitent à deux manifestations, la première «en soutien à la liberté d'expression» et contre «le fascisme islamo-gauchiste», la seconde intitulée «Monsieur Zemmour, nous n'acceptons pas votre racisme». Un cocktail potentiellement explosif qui a fait plier Filigranes. Pour des raisons de sécurité de son personnel et de son bâtiment, la librairie a donc choisi d'annuler sa séance de dédicaces, non sans un certain agacement, glissant en fin de communiqué: «PS: Et si, par le plus grand des hasards, Michel Houellebecq accepte de venir présenter son nouveau roman Soumission, quelle sera votre réaction!?»
3 - Yvan Mayeur décidera en dernière minute. Reste qu'Eric Zemmour est toujours attendu au cercle de Lorraine et au B19 Country Club d'Uccle. Et que les deux manifestations qui se dessinent devraient se tenir place Poelaert. Le bourgmestre Yvan Mayeur compte examiner lundi la demande de rassemblement introduite par le PTB (le groupuscule Nation n'ayant pas pris la peine de s'encombrer de ces politesses). Il considérera aussi le degré de menace induite par la présence du groupe Nation. Mais se défend du «double standard» qui lui est imputé et exclut d'interdire la venue du polémiste sur le territoire de Bruxelles dans un cercle privé: «Ce serait une censure que je ne pratique pas.»
«C'est contre-productif»
Certaines associations musulmanes dénoncent une politique du «deux poids, deux mesures», estimant dès lors qu'antisémitisme et islamophobie ne sont pas condamnés par l'État de la même façon. L'interdiction du prédicateur koweïtien en novembre dernier est en ligne de mire. Une comparaison qui ne tient pas la route selon Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l'antisémitisme (LBCA): «Je n'aime pas Eric Zemmour. Pour moi, c'est du Jean-Marie Le Pen. Mais ce n'est pas quelqu'un qui appelle au meurtre ou au génocide, comme ce prédicateur ou comme Dieudonné par exemple. Mettre sur le même pied ces différents individus n'est pas une façon intelligente de lutter contre le racisme en général. C'est contre-productif.»
Maurice Sosnowski, président du CCOJB (Comité de coordination des organisations juives de Belgique), n'hésite pas à manifester son malaise: «Le Centre pour l'égalité des chances refuse l'interdiction a priori, au nom de la liberté d'expression. Je me range donc à cet avis. Néanmoins, je suis très mal à l'aise par rapport à cette forme de liberté d'expression: pour Dieudonné par exemple, j'estime qu'à partir du moment où on était certain à l'avance que dans son spectacle il allait répéter les propos clairement antisémites pour lesquels il avait été condamné en France, il était juste de l'interdire. Je ne suis donc pas opposé complètement à l'interdiction. Mais, comme beaucoup de gens, je n'ai pas lu le livre de Zemmour. Si on peut me prouver qu'il va effectivement proférer des propos racistes et haineux, il est évident que je les condamnerai. Mais je ne peux pas le faire à l'avance. On peut parler de liberté d'expression à géométrie variable dans certains cas, mais je ne pense pas que ce soit le cas cette fois-ci.»
ÉLODIE BLOGIE
Il a dit
Dans son récent essai, Le suicide français (Albin Michel), Eric Zemmour relit le passé de la France et dénonce une série (à ses yeux) d'aveuglements technocratiques, de politiques délétères et de mensonges sur la famille, l'immigration, l'Europe ou la mondialisation. Ses adversaires ont dénoncé le ton général de l'ouvrage, réactionnaire, et quelques relectures historiques particulières, comme le désormais fameux «Pétain, sauveur de Juifs français».
Mais ce que ses adversaires bruxellois du moment reprochent à Zemmour, c'est surtout cette interview accordée au quotidien italien Corriere della Sera, dans lequel le polémiste estime que les musulmans «vivent entre eux», que «les Français ont été obligés de les quitter» ou que «cette situation d'un peuple dans le peuple (…) conduira au chaos et à la guerre civile». Mais surtout, il y a cette question, sur une hypothétique «déportation» des 5 millions de musulmans français… Il est apparu que ni Zemmour… ni le journaliste n'ont prononcé le mot «déportation», écrit au moment de retranscrire l'entretien, pour ramasser une question trop longue.
WILLIAM BOURTON