La maison nazie de Keerbergen: toujours plus ostensible en toute impunité

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Des aigles de la Wehrmacht. Les lettres "SS" visibles depuis la voie publique. "Mijn Kamp", traduction en néerlandais de "Mein Kampf" ("Mon combat" titre du livre d'Hitler) écrit sur la cheminée ainsi qu'une croix gammée. Sur la Varensweg, à Keerbergen dans le Brabant flamand, une maison affiche très clairement les orientations idéologiques de son propriétaire.

De nouveaux symboles

L'existence de cette "maison nazie" a été rendue publique en 2014 par le journal La Capitale. Cinq ans après, malgré un procès-verbal dressé par la police locale pour apologie du régime national-socialiste, la décoration de cette demeure en briques rouges n'a toujours pas changé.

Pire, comme a pu la constater la RTBF sur place, des éléments rappelant le régime allemand entre 1933 et 1945 ont été rajoutés. Toujours plus ostensibles! Comme ce totem effectuant le salut hitlérien à l'entrée, une étoile jaune comme celle que les Juifs devaient porter pendant l'occupation, d'autres croix gammées noires sur fond blanc et rouge pendues en hauteur sur les arbres du jardin...

Sur la voie latérale, on peut lire "Het adelaarnest", le nid d'aigle en français, la résidence alpine d'Adolf Hitler. Cette maison ne passe absolument pas inaperçue. Le propriétaire, Georges Boeckstaens, 76 ans, ancien caporal de l'armée, ne cache pas son admiration pour le Fürher.

Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l'antisémitisme (LBCA), ne comprend pas l'impunité dont jouit Georges Boeckstaens. "Je suis très choqué que ces inscriptions soient là depuis autant d'années", soupire-t-il. "Malgré la médiatisation, on se rend compte que d'une part, ce propriétaire a pu constater qu'il y avait une totale impunité le concernant. Ensuite, depuis, la personne a rajouté des symboles. C'était déjà très choquant en 2014. Ça l'est encore plus en 2019. Nous attendons de la justice qu'elle applique la loi notamment celle contre le négationnisme et la promotion du régime nazi. Cette maison symbolise le Troisième Reich. Nous demandons que ces signes soient retirés de la façade et que le propriétaire soit tenu responsable de ses actes et qu'il encourt les peines prévues par la loi."

Une provocation

C'est ce que demande également des riverains. Anonymement, l'un d'eux réagit: "Ce que l'on voit n'est pas correct par rapport aux personnes qui ont souffert pendant la deuxième Guerre mondiale. On se moque d'eux au travers de cette maison. D'autant que toujours plus d'éléments ont été rajoutés. C'est une provocation! C'est illégal! Un jour, il a placé un panneau indiquant: 'Les gens disent que je suis une honte pour le quartier. Moi, je dis que ce sont les Juifs qui sont la honte du monde.' C'était placé dans la rue!"

Pour Joël Rubinfeld, cette maison est un cas unique. "En 2014, lorsque nous avons été alertés concernant cette maison, nous pensions que l'affaire était exagérée. Mais en fait, pas du tout! Quand on est devant cette maison, c'est encore plus violent que ce qu'on nous avait expliqué. Les gens n'en reviennent pas qu'une telle chose puisse se produire ici, en Belgique, 70 ans après la chute du régime nazi. Rien n'a été fait de la part des autorités locales et de l'appareil judiciaire. Il y a un arsenal contre cela mais on l'applique pas."

En 2014, lorsque l'affaire éclate, Georges Van Boeckstaens n'a pas encore surchargé son bien. Mais le ton était déjà donné avec des symboles placés ça et là. Et quelques entourloupes comme une croix gammée inversée sur la cheminée, permettant ainsi de jouer sur la réelle signification. Le bourgmestre N-VA Dominic Vansevenant est alerté et envoie la police dresser un procès-verbal. A l'époque, le propriétaire consent à retirer une de ses croix gammées, celle accrochée au dessus de son garage, pourtant invisible depuis la rue. Le geste laisse croire à une prise de conscience. En 2019, tout indique qu'il n'en est rien. Entre-temps, la justice a classé le p.-v. sans suite.

Le dossier judiciaire rouvert

A Keerbergen, le nouveau bourgmestre Open VLD Erik Moons n'a pas souhaité répondre aux questions de la RTBF. Raison? Il n'est bourgmestre que depuis peu et ne maîtrise pas suffisamment le dossier. Son prédécesseur nous explique pour sa part "avoir fait ce qui était en son pouvoir". "En 2014", se souvient-il, "j'ai demandé à ma police de dresser un p.-v. Il a été envoyé au parquet de Louvain qui n'a pas donné suite. Fin 2018, à la fin de mon mandat, nous avons repris contact avec le parquet, avec l'aide d'Unia, afin de prendre des mesures. Le dossier est rouvert désormais. Pourquoi le commune n'a pas retiré ces symboles elle-même? Il s'agit d'un domaine privé. Ensuite, nous avons mobilisé notre police. Nous ne sommes pas des juges. Il y a des procédures à suivre. Les actions légales ont été menées. A notre niveau, nous avons fait le nécessaire. Maintenant, j'espère que les choses vont enfin bouger. Je serai très heureux d'apprendre que le propriétaire soit renvoyé devant la justice. Cette maison nuit à l'image de notre commune de Keerbergen."

Unia, partie civile

La justice, elle, ne devrait plus fermer les yeux plus longtemps. Patrick Charlier, le directeur d'Unia, le Centre interfédéral contre les discriminations annonce que le parquet de Louvain a rouvert le dossier. "Suite à une plainte, le parquet va entamer des poursuites après le placement de nouveaux symboles sur la maison. Nous avons décidé de nous constituer partie civile et nous attendons que ce dossier arrive devant le tribunal correctionnel. Le parquet, dans un premier temps, avait décidé de classer sans suite puisque le propriétaire avait décidé de retirer la croix gammée. Mais depuis, l'homme a été de nouveau actif, les poursuites peuvent donc être relancées."

Georges Boeckstaens risque jusqu'à un an de prison et une amende pour infraction à la loi sur le négationnisme. "Cette loi prohibe la négation, la minimisation grossière, la justification ou l'approbation du régime nazi et des actes commis par le régime nazi. Ici, nous sommes dans une situation de justification et d'approbation", précise Patrick Charlier pour qui cette maison est "à notre connaissance" un cas unique. "Dans le Hainaut, nous avions eu le cas d'un particulier qui avait affiché un drapeau nazi à sa fenêtre. Les forces de l'ordre était intervenue pour le faire retirer. Mais de manière aussi flagrante, c'est la seule maison que nous connaissons en Belgique."

La RTBF est parvenu à échanger avec Georges Boeckstaens qui semble minimiser la portée de ses actes et les événements survenus entre 1939 et 1945. Vêtu de son pull de caporal, il nous accueille à l'entrée de son garage. "Je lis tous les livres qui se rapportent au Troisième Reich. Et si j'en crois ce qui est écrit, je ne peux qu'être un fan d'Hitler", assène-t-il. "Hitler est la plus grande figures de ces 100 dernières années, personne ne peut le nier. Par rapport au génocide des Juifs, je n'approuve pas. Mais il y avait des raisons à l'époque. Les soldats allemands étaient également exterminés par les Russes. 10.000 soldats exécutés par jour. Les camps de concentration n'accueillaient pas que des Juifs. Et puis, nous étions à la fin de la guerre." Pour lui, sa maison est un manière de présenter une autre facette du Troisième Reich, sous un angle "positif".

Une justification des crimes nazis qui heurte Joël Rubinfeld (dont le grand-père est mort à Auschwitz), lors d'une confrontation avec Georges Boeckstaens. "Vous faites la promotion du régime nazi, de l'antisémitisme et d'Adolf Hitler", lance-t-il au propriétaire. "Vous vivez dans une maison nazie et vous êtes un nostalgique du régime nazi. Et nous voulons que vous soyez traduit devant les tribunaux."

Georges Boeckstaens entend rappeler son passé. "Mes deux oncles se sont engagés au sein de l'armée allemande pendant la guerre et ont été combattu contre les Russes. A leur retour, ils ont été emprisonnés. Lorsque j'étais petit, j'ai été frappé à l'école parce que j'étais de la famille de ces deux oncles. J'était le vilain petit canard alors que je n'avais rien à voir."

"Vous salissez l'honneur de cette ville de Keerbergen", lui répond Joël Rubinfeld. "Vous avez réussi à placer cette petite ville paisible sur la carte mondiale à cause de votre maison. Je veux que la justice fasse retirer ces symboles infâmes qui salissent votre ville et salissent notre pays."

Georges Boeckstaens n'en démord pas: il n'a rien fait de mal. "Je ne dérange personne avec mes symboles. Je ne fais de mal à personne. Je n'ai pas de casier judiciaire."

En tout cas, si les deux avis sont irréconciliables, l'une d'eux est punissable par la loi. Georges Boeckstaens devrait bientôt être présenté à un juge.

KARIM FADOUL

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