L’imam qui appelait à «brûler» les juifs, star des mosquées

Le Soir |


Dans une vidéo de 2009, Mohamed Toujgani appelle à «brûler les sionistes». Qui est ce leader religieux influent?

«Seigneur, Maître des Mondes, déverse la frayeur dans le coeur des sionistes oppresseurs. […] Seigneur, fais que le sang des martyrs soit une arme sous les pieds des sionistes oppresseurs, et que ce sang soit un feu ardent qui les brûle et un vent qui les fustige. […] Ô Seigneur, démolis-les.» Ces mots sont ceux de l’imam Mohamed Toujgani, prononcés lors d’un discours en 2009, pendant la guerre de Gaza.

La vidéo toujours visible sur Youtube vient d’être signalée à la Ligue belge contre l’antisémitisme, juste avant l’ouverture du procès Nemmouche, comme le rapportait La Dernière Heure ce mercredi. La Ligue, qui s’est fondée en 2014, ne peut se constituer partie civile pour des faits antérieurs. Mais Joël Rubinfeld, son président, enjoint la justice et les autorités à s’intéresser sérieusement au personnage.

Mohamed Toujgani est en effet le premier imam (le plus important, celui de la prière du vendredi) de la première mosquée bruxelloise selon le nombre de fidèles. La mosquée Al Khalil, à Molenbeek, rassemble jusqu’à 3.000 personnes. Surtout, elle compte aussi un institut d’études islamiques et deux écoles: l’école Al Khalil (qui propose des cours d’arabe à 500 enfants le mercredi et le week-end) et l’école primaire «La Plume» reconnue par l’enseignement officiel. La mosquée n’a ainsi jamais eu besoin d’être reconnue: les dons des fidèles suffisent à la financer. Le salaire de l’imam n’est donc pas pris en charge par l’État.

En Belgique depuis quarante ans, mais ne connaissant toujours pas un mot de français, Mohamed Toujgani est «le stéréotype de l’imam de la première génération», comme l’explique Corinne Torrekens, docteure en sciences politiques et sociales à l’ULB et spécialiste de l’islam contemporain: «Il est le représentant par excellence de l’islam sunnite conservateur et patriarcal, par ailleurs très lié au pouvoir marocain. Il incarne en ce sens un imamat problématique, hérité, importé, qu’on peine à renouveler par un imamat plus en phase avec les sociétés européennes.»

«Enflammer les foules»

Pour cet observateur, qui a été impliqué dans diverses mosquées bruxelloises, mais préfère rester anonyme, l’homme «n’est pas un intellectuel», même s’il a acquis une certaine aura comme «théologien»: «il a reçu une formation traditionnelle, ce qui revient à apprendre le coran par coeur et rien d’autre. Par contre, c’est un grand prêcheur, un tribun, qui a un potentiel de mobilisation énorme. C’est la star des récoltes de fonds et il est capable d’enflammer les foules. Ce qui est dangereux, car il n’a pas le sens de la mesure: il y va à l’intuition, à l’affect.»

Si l’imam parlait de «sionistes», et non de «Juifs», Corinne Torrekens observe que l’usage de ce terme peut tout à fait cacher un antisémitisme primaire. Surtout, les discours musclés islamistes dominaient les mosquées bruxelloises dans les années 90 et 2000, comme le rapporte cet imam bruxellois, qui le dénonçait à l’époque: «Le seul discours perçu comme légitime était le discours salafiste, voire djihadiste. Personne n’osait le critiquer. Toujgani portait ce discours-là. Il l’a reconnu et le regrette aujourd’hui.» Pour cet imam, le leader de la mosquée Al Khalil, qui n’était pas joignable ce mercredi, aurait opéré un véritable «revirement» ces dix dernières années.

Mohamed Toujgani, comme son cousin, Taher Toujgani, imam à Anvers, reste très influent. Président de la Ligue des imams de Belgique, proche de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, où il donne parfois des formations à de futurs imams reconnus (alors qu’il ne l’est pas), figure emblématique des mosquées bruxelloises, il représente une ancienne génération plutôt encombrante à l’heure où la relève peine à émerger et où les projets de formation des imams en Belgique stagnent.

ELODIE BLOGIE

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