L’honteux tag antisémite
Le magasin Computer Factory de la rue Jean Volders, à Saint-Gilles, a été la cible d’un tag antisémite dans la nuit de mardi à mercredi. «Sale juif» a été écrit à l’encre bleue sur le volet métallique du commerce de Philippe Lachman. Le commerçant, pourtant fort apprécié dans le quartier, nous fait part de son désarroi et sa colère.
La journée de Philippe Lachman ne pouvait pas plus mal commencer. En arrivant mercredi matin à son magasin de réparation d’ordinateur, le Computer Factory, situé dans la rue Jean Volders à Saint-Gilles, il a découvert cette inscription: «sale juif», taguée en grand à l’encre bleue sur le volet métallique de son établissement.
«J’ai découvert ça mercredi matin. Je me rendais au travail en voiture lorsque mon voisin m’a téléphoné pour me prévenir. J’ai d’abord cru qu’il me faisait une blague», relate-t-il. Mais sur place, la situation ne prêtait pas à rire. «Je me suis senti mal et pourtant, je suis quelqu’un de solide. J’ai été victime toute ma vie de ce genre de remarque mais d’habitude, c’est verbal. C’est la première fois que cela se fait par écrit, a fortiori sur la façade de mon magasin.»
Plainte contre X a immédiatement été déposée auprès de la zone de police Bruxelles-Midi (Anderlecht, Forest et Saint-Gilles). Arrivés rapidement sur les lieux, les policiers ont dressé un procès-verbal mais aucun suspect n’a encore pu être interpellé. Il faut dire que le magasin ne possède pas de caméras de surveillance et qu’il n’y en a pas non plus sur la voirie, ni dans les commerces voisins.
«Je n’ai pas la moindre idée de qui peut en être l’auteur», grimace encore l’homme de 67 ans, installés depuis 17 années à cet endroit et par ailleurs fort apprécié dans le quartier. «Je n’ai jamais eu aucun problème. Tout au plus une fois, avec un déséquilibré qui m’a notamment craché au visage. Mais ce n’était pas quelqu’un de sain.»
Philippe Lachman n’a en outre jamais mis en avant son appartenance juive sur sa vitrine, et n’a jamais été lié à aucun mouvement quelconque. Ce qui pourrait créditer la thèse de l’attaque personnelle plutôt que d’une revendication à caractère politique. «Pour moi, cette inscription est surtout à remettre dans le contexte d’une montée du racisme de manière générale», avance-t-il.
«J’AI PENSÉ AUX GHETTOS»
«Ma première réaction», poursuit ensuite notre interlocuteur, «a été de songer aux ghettos et aux magasins de Berlin qui, pendant les années trente, étaient ciblés par la propagande antisémite. Je suis d’une génération particulièrement sensibilisée et ça me touche, même si je suis rodé avec le temps. Par contre, c’est plus difficile pour mes enfants et leurs amis. Eux ont moins été confrontés à cette situation et y sont donc encore plus sensibles.»
Heureusement, Philippe Lachman peut compter sur le soutien de ces proches. Et même de la Ligue Belge Contre l’Antisémitisme qui lui apportera une aide juridique pour le suivi de sa plainte.
LA LIGUE BELGE CONTRE L’ANTISÉMITISME
«La parole antisémite est plus libérée»
La Ligue Belge Contre l’Antisémitisme (LBCA) s’est déjà mobilisée pour offrir son soutien à la victime. «Nous allons porter plainte, plainte qui s’ajoutera à celle de M. Lachman. Mais pour que la procédure aille jusqu’au bout, il faut identifier l’auteur et c’est peu probable vu qu’il n’y avait pas d’images de surveillance. Nous assisterons toutefois juridiquement M. Lachman dans sa plainte», explique Joël Rubinfeld, président de la LBCA. Malheureusement, cet incident, déplore-t-il, est révélateur du climat actuel plutôt tendu. «Cet incident à Saint-Gilles est une des conséquences de la libération de la parole antisémite qui restait encore clandestine il y a quelques années», estime ainsi notre interlocuteur.
«C’est quelque chose qui inquiète la population juive de Belgique mais qui devrait aussi inquiéter la société dans son ensemble puisqu’elle s’en prend aux principes de base de la démocratie. Il faut que la problématique devienne une cause nationale, que les pouvoirs publics s’en emparent. Nous attendons d’eux qu’ils prennent des mesures. Par exemple, nous savons que le mouvement de Laurent Louis organise, le 4 mai prochain à Bruxelles, un événement ouvertement antisémite avec des personnes comme Dieudonné, Alain Soral ou Hervé Ryssen. Il est évident que dès que l’on saura où ce rassemblement se tiendra, il devra être interdit par les autorités.»
C’est ce genre de politique qu’il faut mener, selon lui, pour enrayer la poussée de l’antisémitisme. «Un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) publié en octobre dernier révèle que 28% des personnes juives interrogées en Belgique ont été la cible d’actes antisémites sur l’année écoulée. Pire: 41 % des sondés envisageraient de quitter le pays pour un endroit plus propice.» Une constatation qui vaut pour toute l’Europe occidentale, conclut-il. «Dans ce contexte, les élections européennes de mai prochain revêtent une importance primordiale.»
LE CCLJ
«Aucun problème dans le quartier»
Le Centre Communautaire Laïque Juif de Belgique est installé à deux pas de la rue Jean Volders, rue Hôtel des Monnaies. Et de mémoire de Nicolas Zomersztajn, notamment rédacteur en chef de la revue «Regards», on n’y jamais déploré aucun incident du type de celui qui nous occupe aujourd’hui. «Et pourtant, nous y sommes installés depuis les années 60, et on nous identifie facilement vu notre plaque sur la façade», souligne-t-il. «Mais le bas de Saint-Gilles est un quartier agréable, très multiculturel dans le bon sens du terme. Il n’y a pas de groupe dominant et tout le monde cohabite avec beaucoup de respect.»
Toutefois, l’homme abonde dans le sens de Joël Rubinfeld lorsqu’il s’agit d’évoquer la montée de l’antisémitisme de ces dernières années, à Bruxelles. «Cela se traduit sans doute moins par de la violence physique que par de l’écrit, comme le tag d’hier ou des courriers», reprend-t-il. «La plupart se manifeste sur Internet, je pense. Si on devait faire un graphique, le Web se payerait la plus grosse part. Tout d’abord, à cause de l’anonymat qu’il procure mais aussi parce qu’il offre une tribune qui n’existait pas il y a quelques années. En un clic, on peut avoir accès à des vidéos ou des articles de toutes sortes, en dehors de tout contrôle. Il faut que la législation en vigueur dans la «vraie vie» soit aussi d’application sur Internet pour que cela ne devienne pas une zone de non-droit.»
Christophe Vancutsem