Je suis Charlie. Je suis policier. Je suis Juif. Je suis Belge.

LBCA |


Discours du président de la Ligue Belge contre l'Antisémitisme (LBCA), Joël Rubinfeld, lors de la cérémonie organisée par Belgium Stands With Israel à la synagogue Maale, en hommage aux 17 victimes des attentats à Charlie Hebdo, à Montrouge et à l'épicerie juive Hyper Cacher.

Je suis Charlie. Je suis policier. Je suis juif.

Une fois de plus, le terrorisme a fait couler le sang d’innocents dans les rues d’une capitale européenne. Cette fois, c’est à Paris que la barbarie islamiste s’en est prise aux symboles de la démocratie: les journalistes, les policiers et les Juifs, c’est-à-dire la liberté d’expression, les garants de l’Etat de droit et la minorité la plus exposée de notre société.

Ce totalitarisme qui nous menace – et qui, à n’en pas douter, frappera à nouveau – n’en est pas à son coup d’essai. C’est bien cette même haine, ce même rejet absolu de ce que nous sommes, qui a frappé l’année dernière à quelques kilomètres d’ici, au Musée Juif de Bruxelles, mais aussi en Australie, dans un café du centre de Sydney, en Israël, dans une synagogue à Jérusalem, au siège du Parlement canadien à Ottawa ou au Pakistan encore, dans une école à Peshawar, où 132 écoliers musulmans ont été sauvagement assassinés.

(…) Aujourd’hui, il est minuit moins une.

Bientôt, il n’y aura qu’une seule réponse à la question que se pose un nombre croissant de Juifs de notre pays: nos enfants ont-ils encore un avenir en Belgique? Bientôt, si rien ne change, si rien de significatif ne change, il n’y aura plus qu’une seule réponse à cette question: partir – ailleurs, en Israël, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie. C’est-à-dire les quelques rares endroits du monde où il est possible encore d’être pleinement Juif et citoyen.

Mais il est minuit moins une disais-je, c’est-à-dire qu’une autre réponse est donc encore possible. Pour que “rester ici” soit cette autre réponse, il faut impérativement que les acteurs politiques, médiatiques, associatifs, académiques comprennent sans délai, comme l’a compris le Premier ministre français Manuel Valls, que la Belgique sans les Juifs, ce n’est plus la Belgique. Pour cela, il faut, à l’instar de nos voisins français, faire de la lutte contre l’antisémitisme une cause nationale.

Ne nous y trompons pas, ce qui se joue en ce moment n’est pas uniquement le sort des Belges juifs. Car lorsqu’on crie “Mort aux Juifs” dans les rues de Bruxelles, ce sont les slogans “Mort à la Belgique”, “Mort à la démocratie”, “Mort à l’égalité homme-femme”, “Mort à la tolérance”, “Mort à la diversité”, “Mort à l’intégration” qu’il faut entendre. Alors, aux élus des partis démocratiques qui n’ont pas encore compris qu’il leur faut mener ce combat pour nos enfants, je les adjure de le mener pour les leurs.

L’antisémitisme contemporain, celui qui blesse, harcèle, intimide, tue à Toulouse, Bruxelles ou Paris a substitué l’Etat juif à l’individu juif sous les oripeaux de l’antisionisme. La lutte contre l’antisémitisme ne saurait dès lors faire l’économie d’un profond recadrage de la réalité proche-orientale, d’une véritable révolution des mentalités avec, d’abord et avant tout, une révolution du verbe pour que cesse enfin la diabolisation d’Israël et la remise en question insidieuse de son droit à l’existence et de sa légitimité à incarner l’Etat nation du peuple juif.

Il faudra aussi faire un sort à ce fantasme inepte qui veut qu’une solution du conflit entre Israël et les Palestiniens soit la clé de voûte de la paix et de la concorde universelles. Il faut ici dire clairement les choses: les islamistes ne haïssent pas l’Occident à cause d’Israël, ils haïssent Israël parce qu’il porte les valeurs de l’Occident.

Cette révolution des mentalités permettra alors de désigner les Juifs visés par le terrorisme, en Europe comme en Israël, comme les victimes qu’elles sont et non plus comme les co-responsables du sort funeste qui leur est infligé.

Cette révolution des mentalités contribuera aussi à assurer une plus grande solidarité de toute la société civile à l’égard de ses concitoyens de confession juive et peut-être ainsi ne verra-t-on plus pleurer les Juifs presque seuls lorsqu’ils sont insultés, humiliés, agressés pour le simple fait d’être juif.

Rien, rien ne se fera sans cette révolution des mentalités. Les mesures de sécurité les plus coercitives, le déploiement de forces de sécurité les plus larges partout où les Juifs se réunissent, prient ou étudient ne seront qu’un emplâtre sur une jambe de bois si, en amont, nous ne changeons pas résolument notre logiciel, notre grille de lecture sur la guerre que le terrorisme islamiste a déclaré à notre civilisation, que ce soit à Bruxelles, à Paris, à New York, à Madrid, à Londres ET à Jérusalem.

Chers amis, il est minuit moins une et je voudrais ici lancer un appel solennel à un sursaut de tous nos compatriotes pour que mes coreligionnaires qui fêtent l’anniversaire de leurs enfants soient assurés qu’ils pourront encore le faire, ici, chez nous, dans notre pays, dans 1 an, dans 5 ans, dans 50 ans.

Je suis le fils d’un Enfant caché autrichien qui a fui l’Autriche en 1939 pour se réfugier en Belgique. Je suis le petit-fils d’un Juif polonais qui a fui les persécutions en Pologne pour se réfugier en Autriche. Je suis l’arrière-petit fils d’un Juif russe qui a fui les pogroms en Russie pour se réfugier en Pologne. Je veux croire qu’il me soit encore possible d’être le 1er Rubinfeld à rompre avec cette tradition de la valise ou du cercueil, à être né, avoir vécu, avoir été heureux et fier de vivre dans mon pays, la Belgique, et d’y mourir de mort naturelle.

Je suis Charlie. Je suis policier. Je suis Juif. Je suis Belge.


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